Les calcrètes palustres (tuïres) du Pliocène supérieur de la plaine du Roussillon. Pierres monumentales d’usage historique ancien
Abstract
During the late Pliocene, the Roussillon plain was the site
of repeated accumulations of fine-grained silty deposits,
locally intercalated with sandy-gravelly flood deposits. Such
sediment-accumulation processes implied that, around 4 Ma
ago, the manifestations of structural collapse of the plain had virtually ceased, and that subsidence had become much
attenuated.
Our understanding of these alluvial deposits has long
remained fragmentary, as the stream-beds generally were
fairly small and the deposits within them mostly devoid of
plant- and animal remains. Some beds that are strongly
cemented by calcite and locally called “tuïres”, generally
correspond to fine-grained sediment deposited at some
distance from the flood channels, but locally also to more
coarse-grained sand. Their CaCO3 content can be as high
as 50 to 60%.
The Terrats cliff, dominating the Canterrane River, has
allowed a detailed analysis of this late Pliocene alluvial
succession. None of the beds exceeds 1-m thickness, but
their lateral extension can be several hundred metres. The
alluvial sand is commonly poorly sorted, with multi-modal
distribution curves. The alluvial system was controlled by a
semi-arid climate with contrasting seasons. The first stages
of soil formation developed under hydromorphic conditions,
leading to more-or-less bluish gley soils. Precipitation of the
carbonate cement took place over several stages, starting
with the hydromorphic pedogenesis and ending under
evaporitic conditions, i.e. close to the surface. The beds thus
formed, here qualified as calcretes, can correspond to sandy
limestone of calcareous sandstone. The degree of initial
pigmentation generally defined the final colour of the ‘tuïre’,
which can vary from near-white to dark-brown.
In parallel with the geological work, we studied the use of
the ‘tuïre’ stone in the architecture of several Romanesque
and earlier churches of the Roussillon and even in some
buildings dating from the late stages of Roman occupation.
These observations have led us to envisage that such
monumental stones were re-used throughout the ages. The
properties and aspect of these stones are very similar to
those of the calcretes studied in outcrops.
In the absence of clear vestiges of true quarries, the
places where they were extracted are unknown, but several
indications point at the fact that huge blocks, fallen into the
Canterrane river bed from eroded cliffs, may have provided
opportunistic stone-mason sites. Here, the blocks were
intermittently shaped into the stones used in the medieval
and earlier constructions of the median part of the Roussillon
plain between Terrats and Villeneuve-de-la-Raho, in
particular including the villages of Terrats, Nyls and Trouillas
with its Templar fortress of the Mas Déu.
Pendant le Pliocène supérieur, la plaine du Roussillon
est le site d’accumulations récurrentes de dépôts fins
limoneux où s’intercalent parfois quelques alluvions sablo-
graveleuses de forte crue. Ces processus d’accumulation
impliquent que vers 4 Ma les manifestations structurales
d'effondrement de la plaine étant arrivées près de leur
terme, la subsidence n'était plus qu'atténuée.
Nos connaissances sur ces alluvions sont longtemps
demeurées fragmentaires car il s’agit de lits d’assez
modeste extension, le plus souvent azoïques et aphytiques.
Certains bancs fortement cimentés par la calcite et
localement appelées tuïres, correspondent le plus souvent à
des dépôts fins à l’écart des chenaux de crues, mais aussi
plus rarement à des sables plus grossiers. Leurs teneurs en
CaCO3 peuvent atteindre jusqu’à 50, voire 60 %.
La falaise de Terrats qui domine la rivière Canterrane a
permis une analyse détaillée de la succession des
alluvions du Pliocène supérieur. Chacun des lits n'excède
pas un mètre d'épaisseur, leur extension latérale pouvant
atteindre parfois quelques centaines de mètres. Les sables
des alluvions sont généralement mal classés avec des
courbes de distribution plurimodales. Le régime
alluvionnaire est demeuré sous le contrôle d'un climat sub-
aride à saisons contrastées. Les premières phases de la
pédogenèse se sont développées en conditions
hydromorphes aboutissant à des gleys plus ou moins
bleutés. Les précipitations du ciment carbonaté se sont
développées en plusieurs étapes qui ont pu s’initier dès la
pédogenèse hydromorphe pour s’achever en conditions
évaporitiques, c'est-à-dire proches de la surface. Les
bancs ainsi formés, qualifiés ici de calcrètes, peuvent
correspondre à des calcaire gréseux ou à des grès
calcaires. Le degré de pigmentation initial a souvent défini
la couleur finale plus ou moins foncée du tuïre, on distingue
ainsi des « tuïres blancs » et des « tuïres nègres ».
Parallèlement, cette étude a été envisagée en fonction
de l’usage de pierres en tuïre dans l’architecture de
plusieurs églises romanes et pré romanes du Roussillon et
aussi dans quelques édifices remontant à la fin de
l’occupation romaine. Ces observations conduisent à
envisager une succession de remplois de ces pierres
monumentales. Les caractères ou propriétés de ces
diverses pierres sont largement semblables à celles des
calcrètes étudiés à l'affleurement. En l’absence de vestiges
probants de véritables carrières, la localisation de leur site
d’extraction est envisagée de manière générale. Ainsi,
plusieurs indices indiquent que des gros blocs tombés sur
le lit de la rivière Canterrane depuis les falaises d’érosion
ont pu être à l’origine d’ateliers opportunistes de taille de la
pierre installés de manière intermittente; ces ateliers ont pu
alimenter les constructions médiévales de la partie
médiane de la plaine du Roussillon entre Terrats et
Villeneuve-de-la-Raho, dont notamment plusieurs villages
comme Terrats, Nyls et Trouillas (avec sa forteresse
templière du Mas Déu).